3ème prédication du père J.L GARIN

du lundi 19 août 2013

 

 "Les bergers trouvèrent Marie, Joseph et l'Enfant 

couché dans une crèche"

 

"En se rendant à Bethléem, la ville de David, une lueur d’espérance s’était allumée dans le cœur des bergers, tant le souvenir de leur lointain ancêtre réveillait quelque chose en eux. D’une manière ou d’une autre, ils pouvaient se reconnaître en celui qui fut lui aussi un berger, si petit et insignifiant que son père l’avait oublié au moment de présenter ses fils à Samuel (1S 16,11) ; ou peut-être dans ce chef d’une bande de gens en difficulté, endettés ou mécontents (1S 22,2) ; ou encore, en ce roi coupable d’adultère, devenu meurtrier pour cacher son péché (2S 11). David, cependant, avait reconnu sa faute et Dieu l’avait pardonné. Depuis, des générations reprenaient sa prière dans un psaume, pour demander à leur tour « la joie d’être sauvé » (Ps 51,14). Or, cette nuit-là, les bergers n’en revenaient pas, car c’est à eux que cette grâce était offerte : « Je vous annonce une grande joie : aujourd'hui vous est né un sauveur » (Lc 2,10-11).

Pourtant, rien ne les disposait à faire la rencontre qui allait transformer leur vie. Ils n’étaient sans doute ni familiers de la synagogue ou des Ecritures, ni pratiquants assidus du Shabbat, tout occupés qu’ils étaient à garder leurs troupeaux. S’ils allaient au Temple de Jérusalem, on les imagine davantage en train de vendre à bon prix leurs agneaux destinés aux sacrifices, plutôt qu’à participer aux fastueuses cérémonies. On comprend qu’ils aient été saisis d’une grande crainte, car ce n’est pas au Temple que la gloire de Dieu s’était manifestée, mais dans la pauvreté d’une étable, un lieu qui leur était familier et où allait se dérouler la plus simple des liturgies. En effet, même s’ils ne savaient pas prier comme il faut, le corps s’était incliné tout seul pour se pencher sur le berceau, les mains s’étaient ouvertes naturellement pour recevoir le nouveau-né et les paroles avaient jailli spontanément pour parler de l’enfant. Le Temple s’était transformé en étable, son Saint des saints en mangeoire et des gestes tout simples envers un tout-petit avaient remplacé ses rites solennels.

Comment les bergers ont-ils pu reconnaître un sauveur dans ce nouveau-né si fragile, réfugié dans un abri de fortune ? N’était-ce pas paradoxal, à une époque où le titre de « sauveur du monde » était réservé à l’empereur romain, qui disposait d’armées puissantes et de palais somptueux ? Et comment pouvaient-ils repartir chez eux « en chantant la gloire et les louanges de Dieu » (Lc 2,20), alors qu’ils rejoignaient un quotidien incertain, dans un pays occupé par des armées étrangères et soumis à l’autorité d’un roi sanguinaire ? C’est que celui qu’ils avaient vu dans la crèche leur avait donné des forces nouvelles. Ce petit enfant avait complètement changé leur conception du salut. Il ne s’agissait pas de « se sauver » d’un monde difficile, en se hissant vers le ciel pour y trouver refuge. Au contraire, ils avaient découvert que Dieu ne se cantonne pas dans les hauteurs : il vient habiter parmi les hommes pour partager les mêmes difficultés et les mêmes souffrances qu’eux.

Comme jadis les bergers, nous aussi en venant vénérer l'icône de N-D de Grâce, nous trouvons Marie et le nouveau-né dans ses bras. C’est pour chacun d’eux que la parole retentit à nouveau : « aujourd’hui vous est né un sauveur ! » Célébrer la naissance de Jésus, ce n’est pas faire mémoire d’un événement révolu. « A quoi me sert de savoir que le Seigneur vient, s'il ne vient pas d'abord dans mon cœur, si le Christ ne vit pas et ne parle pas en moi ? » (1) La joie qu’ont éprouvée les bergers peut être aussi la nôtre. Cet été, au cours du pèlerinage « aux sources », 2000 étudiants fêtaient la Nativité avec leurs évêques à Bethléem. Pendant le temps d’adoration proposé après la messe, un jeune est venu se confesser. J’ai relu avec lui ce même passage : « Ne crains pas, je t’annonce une grande joie, aujourd’hui il t’est né un sauveur. » La Parole de Dieu traversait le temps pour rejoindre le concret de sa vie d’étudiant. Ses yeux se sont illuminés, Dieu venait le visiter. C’est la première fois que je voyais « la joie d’être sauvé » se manifester au point que le pénitent embrassa le prêtre qui l’avait confessé ! C’est le cœur léger que ce jeune alla s’agenouiller devant le Saint-Sacrement, comme jadis en ce même lieu, les bergers devant le nouveau-né.

Cependant, accueillir le salut de Dieu ne consiste pas seulement à recevoir son pardon. C’est un cadeau bien plus grand qui nous est offert : « Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu » (1 Jn 3,1). Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu, enseignaient les Pères de l’Eglise. Si la tradition a préféré le mot de filiation, pour préserver la différence entre Dieu et l’homme, il ne faut pas le vider de son sens premier : en entrant dans la famille humaine, Dieu désire nous accueillir dans sa famille divine, celle du Père, du Fils et du Saint-Esprit. « L’Incarnation de Dieu et la divinisation de l’homme sont un seul et indivisible mystère » disait François Varillon (2).

« Aujourd’hui » nous est né un sauveur. L’enfant de la crèche interpelle encore notre époque, même s’il semble ne pas faire le poids en face des problèmes considérables qui attendent notre génération : comment répondre aux défis écologiques pour sauver la planète ? Comment mieux répartir les richesses pour nourrir bientôt 9 milliards d’êtres humains ? Comment sortir de la crise économique et venir en aide à ceux qui en souffrent le plus ? Dès lors, le mystère de la nativité apparaît comme un phare dans la nuit : Dieu a choisi de nous sauver en embrassant la pauvreté, pour se rendre solidaire de notre humanité. Il nous montre par lui-même qu’on ne peut donner à l’autre la joie d’être sauvé, sans désappropriation de soi. Contempler ce mystère pour le faire passer dans notre vie est sans doute l’un des enjeux les plus importants pour l’avenir. 

 

          Jean-Luc Garin

          Supérieur du Séminaire de Lille

          www.seminaire-lille.fr

 

(1) Saint Paschase Radbert, Commentaire sur l’Evangile selon saint Matthieu, XI 24.
(2) François Varillon, Un abrégé de la foi Catholique, Bayard, 2008, p. 28

 

 

Article publié par Doyenné de Cambrai • Publié le Lundi 19 août 2013 • 2047 visites

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