… Et puis Il s’est assis sur un rocher, un peu plus haut, pour que tout le monde puisse le voir et l’entendre.
Il avait autour de lui un petit groupe de ses amis qui le serraient de près, et qui avaient l’air de ne pas vouloir le lâcher…
Quelqu’un, près de moi, qui avait l’air de bien les connaître, m’a dit que c’est le matin même qu’il les avait spécialement choisis, chacun par son nom, pour être ses « apôtres » comme il disait.
Douze, ils étaient !
Et la chose était si importante pour lui qu’il avait passé toute la nuit à prier. C’était donc ça !
Il a commencé par dire qu’il allait nous donner le programme du bonheur, du « bonheur vrai » : ce qu’il faut pour être vraiment heureux. Vous pensez qu’on a dressé l’oreille ! car ça, ça intéresse tout le monde.
- Ils sont fameusement heureux, il disait, ceux qui sont pauvres. Et ceux qui n’ont rien à manger, quelle chance ils ont ! Et encore plus ceux qui pleurent ! Et si un jour, par chance, vous êtes matraqués et mis en prison à cause de moi, vous serez les plus heureux des hommes !
Nous, on se regardait en se demandant s’il ne se moquait pas de nous. Pas du tout, c’était sérieux…
Bien-sûr, en réfléchissant, on comprenait un peu ce qu’il voulait dire. Pas besoin d’avoir fait l’école des rabbins pour comprendre que tout ce qu’il disait, les larmes, la faim, les coups, tout ça nous remet tout nus entre les mains de Dieu. Et ça c’est le bonheur !
Tandis que celui qui ne pense qu’à ses sacs d’or et à son garde-manger bien rempli, il n’y a plus de place pour Dieu dans son cœur. Et c’est ça , le malheur !
Peut-être( ?!) c’était un peu dur à avaler, mais il devait avoir raison…
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La question du bonheur est au cœur de l’expérience humaine.
Après tous les philosophes, les sages qui ont débattu à ce sujet, Jésus lui-même aborde de front cette question, comme en témoigne Matthieu dans le sermon sur la montagne.
Les Béatitudes ne sont pas un programme. Elles sont un cri de joie et d’espérance !
Jésus ne parle pas comme un marchand d’illusion… « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » Il ne parle pas non plus comme un prophète de malheur qui dirait : « tout est pourri ! »
Non, il prend acte de ce monde de violence et d’injustice qu’est le nôtre. Et c’est au cœur de ce monde réel qu’il proclame la Bonne Nouvelle : « on peut être heureux maintenant ! » Ce que Jésus annonce est paradoxal. Les « Béatitudes » prennent à contre-pied bien des souhaits et des rêves de bonheur. Il y est question d’être pauvre, de pleurer, de souffrir de l’injustice…
Où y a-t-il, dans tout cela, motif à se réjouir ?
Heureux ! Bienheureux !...
Nous sommes donc au début de l’Evangile de Matthieu, Jésus commence son ministère, choisit ses Apôtres et commence à les enseigner..
Et il commence par l’essentiel de son message : « La promesse du vrai bonheur »
Notre foi ne fait pas la promotion du bonheur dans l’autre vie parce qu’on aurait « trinqué » ici-bas.
Non plus : « Heureux les pauvres d’esprit » au sens de « simplets » ni même, comme le traduit le lectionnaire : « Heureux les pauvres de cœur » certains, en effet risquent de comprendre : « Heureux ceux qui n’arrivent pas à aimer » !
Comprenons-bien que cette injonction « HEUREUX VOUS LES PAUVRES » ne nous invite pas à aimer ou à vouloir la pauvreté !
Ce serait une erreur d ’interprétation de l’Evangile des Béatitudes, qui porterait à croire que Jésus prêche la passivité, la résignation ?
Alors comment comprendre cette première béatitude ?
Jésus a toujours appelé à la solidarité et à l’amour entre nous tous. Il est, lui-même, allé jusqu’au bout du partage, du don total jusqu’à offrir sa propre vie !
C’est quoi un pauvre ?
« Être pauvre, c’est faire face à des manques. Mais de quel manque s’agit-il ?
Manque d’argent ? d’un toit ? d’un travail ? de santé ?
ou alors un manque d’amis ? de liens sociaux ? de famille, de visites, de confiance en soi ? manque de repères ? ou tout simplement d’un manque d’amour ?... surement !
il y a tant de situations de manque !… Être pauvre c’est souvent dépendre des autres, avoir honte et perdre ses amis… sa dignité !
On a peut-être trop souvent la certitude que le bonheur, c’est de ne ressentir aucun manque parmi ceux cités à l’instant ? de se sentir riche de tout ce qui permet de « vivre bien » et le plus longtemps possible ….
Celui qui subit un manque peut passer sa vie à essayer de combler ce manque, parfois seul, ou avec le soutien de son entourage ou d’une association …
Le pauvre a alors un projet ! s’en sortir !
« Pour combattre efficacement la pauvreté, il faut s’attaquer à chacune de ses causes, sans se limiter à donner quelque chose... »
En Marche ! En Avant ! Vous les oubliés, les humiliés du souffle, oui le Royaume des Cieux ( toujours traduire par : l’amour de Dieu) est à eux
Cette invitation au bonheur nous invite à suivre le chemin de l’amour, ici et tout de suite, pour découvrir la vraie vie ! le vrai bonheur !
Et voilà que Jésus nous dérange ! nous bouscule, nous demande de regarder et voir nos pauvretés : pauvretés qui se manifestent chaque fois que je n’ai pas « fait tout ce qu’il m’a dit ! »… chaque fois que je suis volontairement sourd ou aveugle aux besoins des autres…. Chaque fois que j’oublie le commandement de l’amour : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »
Aimer le pauvre signifie lutter contre toutes les pauvretés… matérielles mais aussi spirituelles !… Soigner les pauvres, les rencontrer, les aider, ouvre le regard et le cœur sur autre chose que les apparences…
Exister pour quelqu’un ?!
N’ayons pas peur !, laissons-nous approcher par la différence ! et nous découvrirons en même temps, la présence du Christ en nous, plus forte que cette différence …
Un second niveau d’expérience est celui de notre pauvreté dans ce qui nous touche intimement ! alors même que nous voudrions aimer, nous découvrons que nous ne savons pas aimer….
Heureux ceux qui ont le cœur désencombré, ceux qui ne sont pas prisonniers
de leur suffisance : eux seuls sont en mesure de faire place à Dieu dans leur vie.
La Bonne-Nouvelle de l’Evangile ne consiste pas en une conviction acquise, mais en la compagnie d’une présence plus intime qu’à elle-même.
Au creux de nos pauvretés, comme au cœur de nos combats pour la justice et pour la paix, Jésus est là ! Par ses paroles et par ses actes il nous rappelle que telle est aussi notre situation par rapport à Dieu .
Il veut établir avec chacun de nous une relation d’amitié. Dieu se révèle ainsi paradoxalement pauvre lui-même, puisqu’il attend notre réponse, tout autant que nous-mêmes nous dépendons de son amour…
Heureux ceux qui ne se font pas une carapace de leurs vertus, ceux qui reconnaissent dans leur vie des blessures, des failles, des ouvertures par lesquelles la grâce de Dieu peut passer !
-Heureux ceux qui, dans les paraboles de Jésus, se reconnaissent plus volontiers dans les ouvriers de la dernière heure que dans ceux de la première, dans le fils prodigue que dans son frère aîné : pour eux, et pour eux seuls, l’Evangile de Jésus est une aubaine !
Ce « cœur de pauvre » que le Seigneur nous appelle à rechercher interpelle notre relation à Dieu et à notre prochain, notre rapport aux richesses, notre façon de vivre en disciple du Christ. C'est un appel à partager plutôt que garder pour soi, un appel à donner autant qu'à recevoir, un appel à vivre de la grâce, et à suivre l'exemple du Christ qui s'est appauvri pour nous rendre riche, héritiers du Royaume de Dieu.
« Le pauvre d’Esprit » c’est donc celui qui, éclairé par l’Esprit-Saint, est animé par une confiance en Dieu, envers et contre tout !
Alors, comme Sainte Bernadette, soyons pauvres ! et goûtons au bonheur d’être pauvre !
Sa sainteté, nous situe dans l’humilité et le service que nous devons vivre…
Elle qui sut mettre en pratique l’Evangile en gardant un cœur de pauvre ! à travers une sainteté toute évangélique : la sainteté des pauvres, des humbles du Seigneur à l’exemple du Christ :
« Je te bénis Père, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout petits » (Mt, 11,25)
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Pistes de réflexion /
Quelle est l’attitude fondamentale du « cœur pauvre » ?
- Cette béatitude, est-ce que je la vis concrètement et de quelle manière ?
- Dans ma vie, ai-je déjà pris le risque du dépouillement, dans un geste de confiance absolue au Seigneur?
- Pour devenir « pauvre en esprit » l’Esprit m’invite à quoi ?
- Quelle est mon attitude profonde à l’endroit des pauvres ?
- Savons-nous être des « pauvres de cœur », qu’est-ce que cela signifie l’autre ?