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Matyah 5 André Chouraqui
En marche !
1 Et, voyant les foules, il monte sur la montagne et s’assoit là. Ses adeptes s’approchent de lui.
2 Il ouvre la bouche, les enseigne et dit :
3 « En marche, les humiliés du souffle ! Oui, le royaume des ciels est à eux !
4 En marche, les endeuillés ! Oui, ils seront réconfortés !
5 En marche, les humbles ! Oui, ils hériteront la terre !
6 En marche, les affamés et les assoiffés de justice ! Oui, ils seront rassasiés !
7 En marche, les matriciels* ! Oui, ils seront matriciés* !
8 En marche, les coeurs purs ! Oui, ils verront Elohîms* !
9 En marche, les faiseurs de paix ! Oui, ils seront criés fils d’Elohîms.
10 En marche, les persécutés à cause de la justice ! Oui, le royaume des ciels est à eux !
11 En marche, quand ils vous outragent et vous persécutent, en mentant vous accusent de tout crime, à cause de moi.
12 Jubilez, exultez ! Votre salaire est grand aux ciels ! Oui, ainsi ont-ils persécuté les inspirés, ceux d’avant vous.
*matriciels : de matrice = qui dispense la vie. Amour du Père autant masculin que féminin « avoir des entrailles de mère, un amour qui prend aux trippes… »
*Elohîms : Dieu Père
Les Béatitudes
Ce texte, dit des Béatitudes, forme, dans le récit de Matthieu, le début du discours inaugural de Jésus. Il a souvent été interprété comme un encouragement à la résignation, à la passivité et à la soumission pour tous : Bienheureux les pauvres en esprit (sous-entendu vous et moi), le Royaume des cieux est à eux ! (ce qui, en fait n’engage à rien). Ou encore : Plus vous serez pauvres sur la terre, plus vous serez heureux au ciel ! (sous-entendu : Ne cherchez pas à vous révolter, vous risqueriez de perdre le bonheur éternel !…).
Rappelons tout d’abord que les récits évangéliques ont été rédigés en grec, par des hommes dont la langue maternelle était l’hébreu (voire même l’araméen), pour être ensuite, dans une période relativement récente, traduits du grec en français. Précisons également que la compréhension des mêmes termes, dans une même langue, a évolué dans le temps. C’est pourquoi un dicton italien prétend : Traduttore, traditore ! Tout traducteur est un traître !
André CHOURAQUI, qui a traduit dans un premier temps le Nouveau Testament du grec en hébreu, puis de l’hébreu en français, interprète ainsi ce début du chapitre 5 de l’évangile de Matthieu : En marche les humiliés du souffle ! Oui, le royaume des ciels est à eux ! Et, dans une note en marge du texte évangélique, il précise : en hébreu, le mot (qu’on traduit habituellement par « Bienheureux » en français) évoque la rectitude de l’homme en marche.
sur une route qui va droit vers l’Eternel. Le Coran dit : « Conduis-nous sur le chemin de la droiture ». Si nous autres, Français, entonnions ainsi l’hymne national : « Bienheureux les enfants de la patrie, car le jour de gloire est arrivé ! » ça n’aurait pas la même signification ni la même puissance d’évocation que de chanter : « Allons, enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé… ».
Y aurait-il donc une lecture révolutionnaire des Béatitudes, invitant à « se mettre en marche » les humiliés, les endeuillés, les humbles, les affamés et assoiffés de justice, les coeurs purs, les faiseurs de paix, les persécutés pour la justice ? Et pourquoi pas ? Dans le contexte de l’époque et du pays, où les petits, les exclus, les lépreux, les impurs étaient déclarés hors la Loi par les responsables religieux juifs, et n’avaient le droit que de se taire, les déclarer heureux n’était pas de grande conséquence, sinon de les inciter à rester ainsi, laissant les puissants agir à leur guise.
En revanche les inviter à se mettre en marche et à prendre en mains leur destin était véritablement subversif. Je n’en veux pour simple preuve qu’un jour les Pharisiens et les membres de l’Aristocratie sacerdotale d’un côté, en accord avec la puissance d’occupation romaine, réalisèrent l’union sacrée, et s’entendirent pour condamner à mort Celui qui avait prononcé de telles paroles, et mis ses actes en conformité avec ces paroles.
C’est quotidiennement que nous avons à évangéliser notre lecture de l’Evangile, je veux dire que c’est chaque jour que nous devons apprendre à lire et à vivre l’Evangile dans l’Esprit de Celui qui l’a vécu devant les hommes.
Traduction d’André CHOURAQUI.