La multiplication des pains
Un jeune homme vêtu de rouge et de bleu et un vieil homme dégarni ont une discussion animée. Leur désaccord est évident. Tous deux ont leurs partisans. L’artiste les a ordonnés selon deux lignes parallèles : à gauche, trois plus jeunes, à droite trois plus vieux. Quel est l’objet du débat ?
C’est au chapitre 6 de l’Evangile de Jean (1-15) qu’on trouve le récit de la multiplication des pains, sujet de l’œuvre. Alors qu’il est avec ses disciples, Jésus voit une foule, estimée à 5000 hommes, s’approcher de lui. Il leur demande comment les nourrir. Philippe lui répond que c’est impossible, car cela demanderait une somme considérable. André, frère de Pierre, renchérit : au mieux, un jeune garçon a cinq pains et deux poissons. Autant dire rien.
Mais Jésus reste calme. Ces modestes présents suffiront pour nourrir la foule en abondance.
L’artiste s’intéresse à la discussion qui précède le miracle. Nous sommes la foule. Pierre, au premier plan à droite, nous désigne. Pragmatique, entier, vif, il est énervé. C’est tellement évident qu’il est impossible de nourrir une foule avec si peu ! Derrière lui, André, sans doute, inspecte le contenu de la corbeille, dubitatif. Au loin, Philippe observe. Son opinion est faite : C’est impossible de nourrir une telle foule, et l’attitude de Jésus l’agace. Il se renferme, sûr d’avoir raison.
Sur le côté gauche, nous sommes aussi désignés : en un superbe raccourci, Strozzi peint la main de Jésus pour manifester son intérêt, sa pitié peut-être, pour la foule affamée. Il est le centre de l’attention de ceux qui l’entourent : à l’arrière plan, Jean, réputé être son plus proche disciple, et devant lui, au centre de l’œuvre, le jeune garçon. Celui-ci lève les yeux vers Jésus. La bouche entrouverte, il vient de proposer sa pauvre offrande. Et son regard est à la fois suppliant et confiant. C’est lui qui apporte quelque chose, et il semble pourtant tout attendre de Jésus. Frères, ils sont peints de la même carnation lumineuse, comme pour souligner une commune disposition d’esprit.
Les disciples, à droite, ne comprennent pas. Ils sont dans le doute. Etrangement d’ailleurs, le repas miraculeux terminé, l’Evangile mentionne la foi de la foule, mais ne parle pas des disciples.
Le jeune garçon, d’emblée, a adopté l’attitude juste, qui pourrait bien susciter la louange de Jésus : « je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents, et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Lc 10, 21)
Contempler le Seigneur Jésus, lui offrir ce que nous avons pour le service des autres, en espérant tout de Lui, voilà ce que le jeune garçon de l’Evangile nous apprend, sous le pinceau de Bernardo Strozzi.
Bernardo Strozzi (1581-1644) c. 1630. Huile sur toile, 1,8 x 1,4 m. Moscou, musée Pouchkine