Le serpent d’airain
L’épisode est de sinistre mémoire. C’est au livre des Nombres (21, 4-9) qu’on en trouve le récit : le peuple, lassé des épreuves de l’Exode, en rend le Seigneur responsable et récrimine contre Lui. Celui-ci leur envoie des serpents brûlants à la morsure mortelle. Orazio Riminaldi les représente, tombant du ciel. Pourtant, ils attirent peu notre attention, focalisée par l’impressionnante figure de l’homme luttant contre un serpent gigantesque, inspirée du célèbre Laocoon antique des collections pontificales. L’artiste construit son œuvre en trois zones triangulaires. L’espace inférieur droit est celui de la mort. Il pourrait rivaliser avec les représentations de damnés dans les Jugements derniers : cadavres et corps enchevêtrés, musculeux, happés par l’ombre, sur un fond de rochers aux allures de porte infernale. Parmi ces hommes voués à la mort, aucun ne regarde vers le ciel, car il est l’origine de tous leurs malheurs.
L’histoire se poursuit : parce que le peuple se remet en question, Dieu ordonne à Moïse d’élever un serpent de bronze qu’il suffira de regarder pour être sauvé des morsures des serpents. La partie inférieure gauche de l’œuvre traduit la confiance que le peuple retrouve envers le Seigneur. Malades ou en santé, tous se pressent et s’entraident, portant les enfants à bout de bras, pour contempler le serpent de bronze à la suite de Moïse. Celui-ci, reconnaissable aux deux rayons de lumière sur sa tête, le montre de son bâton et s’accroche fermement de la main au mât qu’il a dressé.
La vaste zone de ciel est dominée par sa haute silhouette. En forme de Tau, il a la forme de la croix du Christ, selon certaines traditions. L’évangéliste Jean et à sa suite de nombreux Pères de l’Eglise établissent le parallèle : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle » (Jn 3, 15)
Tout est bien qui finit bien. Pourtant, l’épisode du livre des Nombres, et ces quelques serpents se détachant sur le fond de ciel nous laissent un goût amer, particulièrement en ce temps d’épidémie. « Dieu envoya contre le peuple les serpents » (Nb 21, 6). C’est écrit. Et c’est une de nos plus lancinantes questions : Dieu envoie-t-il l’épreuve ?
Le livre des Nombres est probablement plus subtil qu’il n’y paraît. En quelques versets, il nous fait passer de la vision d’un peuple qui accuse Dieu de ses problèmes, à celle d’un peuple qui met sa confiance en Lui. En quelques versets, il nous fait passer de la vision d’un Dieu qui envoie la mort à celle d’un Dieu qui sauve. L’épisode est central : il nous invite à quitter l’idée d’un Dieu vengeur, que nous devrions craindre, et à faire grandir notre confiance en Lui.
Les prophètes, l’Evangile de Jean puis les Pères de l’Eglise insisteront surtout sur cet aspect : Dieu sauve. Mais il ne peut pas nous sauver malgré nous. Comme au désert, il nous faut regarder le mal en face, discerner, reconnaître que si nous en sommes les victimes impuissantes, nous en sommes aussi parfois les complices. Il nous faut quitter à jamais la peur d’un Dieu qui voudrait la mort de sa Création.
Il nous faut contempler Jésus élevé sur la Croix. Comme nous victime du mal, du péché et de la mort, il est Celui qui nous sauve pour une vie éternelle.
Orazio Riminaldi (1593-1630) 1625. Huile sur toile, cathédrale de Pise