Jésus et Nicodème
Par un cadrage serré, par la table qui semble basculer vers nous, l’artiste parvient à faire de nous les indiscrets témoins d’un échange discret. Nous sommes à table avec ces deux hommes, dans l’intimité d’une maison plongée dans la nuit. Comme eux, nous dépendons des deux petites flammes au centre de l’œuvre. Elles seules nous révèlent leurs visages et projettent ombres et lumières dans la pièce. « Nicodème vint trouver Jésus pendant la nuit » (Jn 3, 1-8) Au cœur de la nuit, il cherche à comprendre. L’artiste l’a peint tel que l’Evangile le présente. C’est un notable richement vêtu de damas épais orné de passementeries dorées, la tête entourée d’un turban savamment drapé. Ses bésicles à la main, entouré de livres, c’est un pharisien, un de ces juifs pieux usant leurs yeux à étudier la Torah pour y chercher inlassablement la volonté de Dieu. Cet homme est une autorité. Les années ont fait de lui une figure de sagesse, respectable et respectée. En allant rencontrer Jésus au cœur de la nuit, il reconnaît pourtant le manque en lui, la quête de Dieu jamais aboutie. En cela, il est droit. Et voilà que Jésus l’invite à renaître. Comme il le pressentait, ses années d’expérience, la sagesse chèrement acquise en scrutant l’Ecriture ne suffisent pas. Il lui faut naître d’en haut, lui dit ce jeune prophète dont on parle tant. De sa main ridée, il se désigne et balbutie : « Comment un vieil homme peut-il naître ? »
Jeune, tête nue, libre dans ses vêtements si simples, Jésus est en pleine lumière. La bouche ouverte, le regard tourné vers Nicodème, les mains accompagnant sa parole, Jésus est tout à son interlocuteur, passionné par son désir, infiniment respectueux de son chemin de droiture.
Il veut l’emmener plus loin, lui ouvrir l’horizon du Royaume de Dieu. Devant lui, un livre est posé, presque fermé. D’une façon étrange, presque artificielle, son bras le retient entrouvert. En-dessous, des feuillets épars s’en échappent. Jésus ne condamne pas l’Ecriture qui nourrit Nicodème, trésor du peuple élu. Mais il lui redonne vie. Alors que devant Nicodème, elle s’ordonne sagement en colonnes de caractères et en piles de livres, avec Jésus, elle fait corps et déborde, surprenante.
« Il faut naître de l’Esprit » pour voir le Royaume de Dieu. C’est le message de Jésus à Nicodème.
Nicodème avait foi en Dieu, et attendait son Messie. Comme deux flammes pour éclairer son chemin. Comme deux mains pour comprendre l’Ecriture.
Mais ici, pour qui regarde plus loin, le bougeoir à deux flammes repose sur une triple structure. Et les deux mains de Jésus projettent sur sa tunique une 3e main.
Seul l’invisible et mystérieux Esprit de Dieu peut nous faire renaître pour le Royaume promis par Jésus. Laissons-nous étonner, il échappe à nos catégories, il déborde de la vie même de Dieu.
« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va »
Attribué à Crijn Hendricksz Volmarijn (c. 1604-1645). Huile sur bois, 1,1 x 0,9 m. Collection particulière